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La nouvelle annoncée à la télévision interrompit la quinte de toux de Blanche-Neige. Taylor Jackson avait disparu. Il retint sa respiration pour écouter le compte rendu, tout en frottant l'une contre l'autre ses mains douloureuses, les massant encore et encore. Il savait ce qui s'était passé, bien sûr. Il ne pouvait le lui reprocher. Jackson devait être réduite au silence, c'était impératif. La situation devenait de plus en plus critique. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'ils ne subissent les conséquences de l'effronterie et de l'imprudence de son apprenti. Un nettoyage systématique était le seul moyen d'assurer leur sécurité.
Cette satanée Charlotte... Tout était sa faute. Si elle ne lui avait pas ramené ce gamin, si elle ne lui avait pas fait miroiter sa gloire passée... Elle était brillante, il fallait le lui accorder. Et sentimentale, en plus. Se débrouiller pour sortir sa bague des archives de la police et la remettre à sa place légitime était le geste le plus touchant qu'elle ait jamais eu à son égard.
Du bout de son index difforme, il caressa la surface de sa magnifique chevalière, avec ses volutes gravées et son F en relief. Autrefois, cette bague signifiait quelque chose. Elle était un symbole d'honneur, de courage. C'était son héritage. Cela lui donnait une force immuable et un désir insatiable de voir la vie s'écouler hors d'un corps. Il pensa à ses prédécesseurs : quand ils mettaient la bague à leur doigt, sentaient-ils la force vitale émaner du métal ? Sentaient-ils l'appel des corps nubiles attendant la délivrance?
En tout cas, en perdant la bague, il avait également perdu son appétit pour le sang. Evidemment, si elle était tombée, c'était parce que son poids et ses forces câlinaient La maladie le rongeait, celle qui allait le priver de toutes ses capacités.
Aujourd'hui, la bague était de nouveau à son doigt, et elle ne risquait plus d'en tomber, à cause de l'angle impossible de sa dernière phalange. Il avait un remplaçant pour remettre son corps affaibli en action, pour glisser la lame dans la chair tendre des filles. Leurs deux mains ne faisaient qu'une. A certains moments, il redevenait presque celui qu'il avait été autrefois.
Et voilà que tout était menacé de nouveau. Il avait fait le mauvais choix ; il avait permis à Charlotte de brouiller son esprit. Cet apprenti causerait sa mort.
Il quitta la pièce d'un pas traînant, tapotant le sol devant lui du bout de sa canne. Il s'engagea dans l'escalier et grimpa encore et encore, jusqu'au sommet de la maison. Il y avait une fille, là-haut. Il la sentait, il la goûtait II la désirait. Rien ne l'arrêterait, à présent. Il devait accomplir sa destinée.